Le retour du pisé : un trésor ancien pour l’architecture durable du XXIᵉ siècle
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La construction en terre n’a rien d’une nouveauté. Dès la fin du XVIIIᵉ siècle, l’architecte lyonnais François Cointeraux(1740-1830) militait pour l’usage du pisé. Il publia de nombreux traités et fonda des « écoles d’architecture rurale », persuadé que la terre constituait un matériau d’avenir pour des bâtiments économiques, sains et solides. Sa vision, longtemps oubliée, trouve aujourd’hui un écho dans la quête de solutions durables face à la crise climatique.
La région lyonnaise offre un témoignage vivant de cette tradition : des centaines de constructions en pisé y subsistent, parfois vieilles de plusieurs siècles. Un inventaire patrimonial estime que l’agglomération compte plus de 700 édifices réalisés avec cette technique. Preuve que, malgré son apparence rustique, la terre compactée résiste au temps.
Les propriétés thermiques du pisé : ce que disent les études
Au-delà de ce cas lyonnais, la recherche scientifique confirme les qualités thermiques de la terre compactée.
Une étude menée par Jiang et al. (2023) a testé des parois en pisé et montré qu’elles offraient une excellente régulation thermique et hygrométrique. Les murs absorbent l’humidité de l’air et la restituent progressivement, améliorant le confort intérieur. Dans des conditions expérimentales, les murs en pisé ont réduit les écarts de température intérieure de plusieurs degrés par rapport à l’extérieur, tout en stabilisant l’humidité relative. Les auteurs concluent que la construction en terre contribue à diminuer les besoins énergétiques pour le chauffage et la climatisation.
De même, Ciancio et al. rappellent que le pisé présente une forte masse thermique, capable d’amortir les variations de température. Cela en fait un matériau particulièrement adapté aux régions connaissant de fortes amplitudes thermiques entre le jour et la nuit. Leur revue souligne aussi que le pisé nécessite très peu d’énergie grise : contrairement au béton ou à l’acier, il ne demande pas de cuisson ni de procédés industriels lourds, ce qui réduit son empreinte carbone.
L’Orangery à Lyon
Le quartier Confluence, à Lyon, illustre le renouveau du pisé. En 2019, un immeuble de bureaux de 1 000 m² sur trois niveaux, baptisé L’Orangery, a été inauguré. Les murs ont été réalisés en blocs de terre crue, extraits localement puis compactés et ajustés au millimètre près.
Le bâtiment se distingue par ses performances environnementales. Construit sans emballages ni déchets, il ne nécessite aucune climatisation en été et seulement un faible chauffage en hiver. Son inertie thermique, c’est-à-dire la capacité de la masse de terre à absorber et restituer lentement la chaleur, permet de traverser les canicules sans recours massif à l’énergie.
De plus, les matériaux utilisés proviennent exclusivement de la région Rhône-Alpes (terre et bois), ce qui réduit fortement l’empreinte carbone liée au transport. L’Orangery a obtenu plusieurs labels prestigieux (HQE, Effinergie+, BREEAM Excellence), attestant de sa performance environnementale.
Selon Le Progrès, ce bâtiment « défie la canicule » grâce à ses murs de terre qui maintiennent maintient un confort intérieur sans climatisation, y compris pendant les vagues de chaleur.
Patrimoines et adaptations locales
Le pisé n’est pas seulement une spécialité lyonnaise. On le retrouve sur plusieurs continents, sous des formes adaptées aux ressources et aux traditions locales.
Macao (Chine) : Une étude comparative réalisée en 2025 par Zhai et al. analyse la composition et les méthodes de construction des murs en pisé traditionnels. Les chercheurs ont observé des différences notables selon les sites étudiés : certains murs utilisent des sols sableux, d’autres des terres argileuses. Cette diversité reflète l’adaptation du matériau aux conditions locales. L’étude insiste aussi sur la richesse patrimoniale de ces architectures et sur l’importance de leur conservation. Ces bâtiments démontrent que le pisé a su s’adapter à un climat subtropical humide, tout en offrant des qualités de durabilité remarquables.
Croatie : Dans l’est du pays, Brkanić Mihić et al. (2024) ont étudié des maisons traditionnelles en pisé. L’analyse des sols montre des taux variables de sable, de limon et d’argile, influençant la résistance mécanique et la durabilité. L’étude met en évidence que la technique du pisé permet d’utiliser des ressources locales abondantes, tout en posant des questions sur la stabilité sismique. Ces résultats rappellent que, si la terre offre de grandes performances thermiques et écologiques, sa mise en œuvre doit être adaptée aux contraintes géographiques et environnementales spécifiques.
Australie, Afrique, Amériques : Selon Niroumand et al. (2013), le pisé est l’une des nombreuses techniques de construction en terre présentes à l’échelle mondiale (avec l’adobe, le torchis, le cob…). L’article souligne que ces méthodes reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène, car elles permettent de réduire fortement les émissions liées à la construction. Le pisé, recyclable à l’infini, incarne un modèle de circularité avant l’heure.
Conclusion
Du visionnaire François Cointeraux au XVIIIᵉ siècle, aux expérimentations modernes comme L’Orangery à Lyon, jusqu’aux recherches menées en Macao ou en Croatie, le pisé démontre une étonnante continuité.
Les études scientifiques récentes confirment ses qualités : régulation thermique et hygrométrique, forte inertie thermique, faible impact environnemental et potentiel de recyclage. Ces résultats, corroborés par les expériences de terrain, montrent que le pisé n’est pas un vestige du passé mais un matériau pleinement adapté aux enjeux contemporains.
Certes, des défis demeurent : résistance à l’eau, adaptation aux normes parasismiques, ou encore transmission des savoir-faire. Mais la dynamique actuelle montre que ce matériau se réinvente comme une réponse crédible aux défis climatiques et énergétiques.
Dans un monde où le secteur de la construction représente une part majeure des émissions de gaz à effet de serre, le pisé incarne une voie sobre, locale et durable. Héritage millénaire, il s’affirme aujourd’hui comme un véritable trésor du XXIᵉ siècle.
Sources
[1] TOPOPHILE, « Le pisé des villes : le patrimoine lyonnais ».
[2] CONSTRUCTION-PISE, « Lyon Confluence – L’Orangery ».
[3] CONSTRUCTION21, « L’Orangery, un bâtiment en terre crue au sein de Confluence ».
[4] LE PROGRÈS, (2023), « Ce bâtiment en terre crue défie la canicule », publié le 21 juin 2023.
[5] JIANG, Y., et al., (2023), « Thermal and Humidity Performance Test of Rammed Earth », PMC (PubMed Central).
[6] CIANCIO, D., (2015), « Rammed Earth: An Overview of a Sustainable Construction », University of Western Australia.
[7] ZHAI, J., et al., (2025), « Comparative Analysis of Physical Characteristics of Traditional Rammed Earth in Macau », Nature Scientific Reports.
[8] BRKANIĆ MIHIĆ, M., et al., (2024), « Architectural Features and Soil Properties of Traditional Rammed Earth Houses: Eastern Croatia », Buildings, MDPI.
[9] MARTIN-ANTUNES, M., et al., (2025), « Recent Developments in Stabilized Rammed Earth: Testing », ScienceDirect.
[10] NIROUMAND, H., et al., (2013), « Various Types of Earth Buildings », ScienceDirect.
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