Quand la lumière allège le cloud : l’optique à faible énergie pour les data centers
- project1253
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Derrière chaque clic, chaque vidéo visionnée ou chaque requête d’intelligence artificielle, un data center travaille dans l’ombre. Ces infrastructures, véritables cathédrales numériques, hébergent des milliers de serveurs connectés par des kilomètres de câbles. Leur rôle est essentiel, mais il a un coût : l’électricité consommée par ces installations est gigantesque, représentant plusieurs pourcents de la consommation mondiale.
Aujourd’hui, une piste attire de plus en plus l’attention : l’optique à faible énergie, c’est-à-dire l’utilisation de faisceaux lumineux et de composants photoniques pour transporter l’information en consommant beaucoup moins. Les chercheurs explorent cette voie depuis plusieurs années, et les résultats montrent que l’optique pourrait transformer en profondeur l’équation énergétique du cloud. Et comme les data centers sont des bâtiments techniques complexes, toute amélioration dans leur efficacité numérique a un impact direct sur leur performance énergétique globale, leur conception architecturale et leurs besoins en refroidissement.
Pourquoi passer de l’électronique à l’optique ?
Dans les architectures classiques, les données circulent via des signaux électriques. Ce mode de transmission souffre de deux limites :
à grande vitesse, les lignes électriques perdent énormément d’énergie à cause de la charge et décharge capacitive ;
chaque signal doit être codé, décodé et resynchronisé par des circuits électroniques supplémentaires, eux-mêmes gourmands en énergie.
Résultat : plus le trafic augmente, plus la facture énergétique grimpe. Pour un bâtiment data center, cela signifie aussi plus de chaleur dégagée, donc davantage de refroidissement à fournir via les systèmes CVC (chauffage, ventilation, climatisation).
À l’inverse, les faisceaux lumineux n’ont pas ces contraintes. Comme le souligne Cheng et al. (Optica, 2018), l’optique supprime la plupart des pertes liées aux charges électriques, permet de transporter de grandes quantités de données sur de longues distances, et réduit drastiquement la dissipation par bit. Moins de chaleur dégagée par bit transmis, c’est aussi moins de charge thermique pour le bâtiment, donc moins de climatisation nécessaire.
Cependant, tout n’est pas parfait. Comme le rappellent Tossoun et al. (Nature Communications, 2024), les lasers, modulateurs et détecteurs utilisés doivent rester alimentés en permanence. Même à faible trafic, ces composants consomment. C’est pourquoi l’efficacité de l’optique repose sur des stratégies d’allumage, d’extinction et de pilotage intelligents, qui influencent directement la gestion énergétique intégrée du bâtiment data center.
Études de cas : quand l’optique se met à l’économie
LC/DC – Éteindre la lumière pour mieux consommer
Une avancée marquante vient d’un projet baptisé LC/DC (Laser Control for Data Centers). Des chercheurs (Arxiv, 2021) y proposent une co-conception innovante entre le système d’exploitation, les switchs et les lasers optiques. Leur idée : éteindre les transceivers optiques redondants lorsque le trafic baisse, tout en garantissant un chemin actif entre les nœuds.
Résultats obtenus : jusqu’à 60 % d’économie d’énergie sur les transceivers, avec un gain global compris entre 9 et 27 % de la consommation totale du data center.
Impact sur les performances : seulement 6 % de latence supplémentaire.
Cas concret : en simulant des flux réels issus de Facebook et Microsoft, ils montrent qu’environ la moitié du réseau pouvait être éteinte 87 % du temps sans perte de connectivité.
Au niveau du bâtiment, cela signifie : moins de chaleur dissipée dans les salles serveurs, donc une pression réduite sur les systèmes de refroidissement et une architecture plus facile à optimiser thermiquement.
Photonique sur silicium – la lumière gravée dans la puce
L’autre terrain d’innovation, c’est la photonique sur silicium. Ici, il ne s’agit plus seulement de relier des racks entre eux, mais d’intégrer la lumière au cœur même des puces.
Selon une enquête (ResearchGate, 2024), les interconnexions optiques intra-puce atteignent des efficacités de 1 à 5 pJ/bit. Pour comparaison, les meilleures interconnexions électriques consomment plusieurs fois plus.
L’intérêt est double :
utiliser les procédés de fabrication des semi-conducteurs pour produire en masse à moindre coût ;
permettre aux processeurs massivement parallèles et aux serveurs haute performance de communiquer de façon fluide, sans goulet d’étranglement énergétique.
En réduisant la chaleur produite à la source, ces innovations contribuent à alléger les charges thermiques globales du bâtiment, ce qui peut influencer le dimensionnement des systèmes HVAC et des infrastructures électriques.
Réseaux passifs AWGR – sobriété et robustesse
Une autre étude (Arxiv, 2021) s’est intéressée aux réseaux optiques passifs. Le principe : utiliser des routeurs optiques AWGR (Arrayed Waveguide Grating Routers), qui ne nécessitent pas d’alimentation active.
Les résultats sont frappants : une économie d’environ 43 % d’énergie réseau par rapport à une architecture classique de type Fat-Tree. Cette sobriété énergétique s’accompagne d’une simplification architecturale pour le bâtiment, puisque les besoins électriques et de refroidissement sont allégés dans les salles techniques.
Entre promesses et contraintes
Les chiffres issus des études donnent une idée claire du potentiel :
60 % d’économie sur les transceivers optiques (LC/DC).
Jusqu’à 27 % de réduction de l’énergie totale d’un data center (LC/DC).
1 à 5 pJ/bit pour les communications sur puce (nanophotonique).
43 % d’énergie économisée grâce aux réseaux passifs AWGR.
Ces ordres de grandeur montrent que l’optique peut s’attaquer à l’un des principaux postes de dépense énergétique dans les centres de données : la connectivité interne. Et comme les data centers sont des bâtiments où l’énergie est consommée à la fois par l’informatique (IT) et par l’infrastructure (cooling, alimentation, ventilation), l’optique contribue indirectement à réduire la consommation totale du bâtiment.
Mais ces promesses s’accompagnent de contraintes :
Latence au réveil des lasers ;
Complexité de coordination logiciel/matériel ;
Coût encore élevé de certains composants ;
Standardisation insuffisante.
Conclusion
Les technologies optiques à faible énergie ne sont plus de simples promesses théoriques. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 60 % d’économie sur les transceivers, 43 % de réduction d’énergie réseau, 1 à 5 pJ/bit dans les communications intra-puce. Ces résultats, issus d’études publiées dans Optica, Nature Communications, Sustainable Computing, ResearchGate ou encore Arxiv, montrent que la lumière peut devenir une alliée précieuse pour alléger l’empreinte carbone du numérique.
Et le lien avec le bâtiment est clair : moins d’énergie consommée par les composants IT signifie moins de chaleur à évacuer, donc des bâtiments data centers plus sobres, plus faciles à certifier (LEED, BREEAM, EDGE) et mieux intégrés dans une stratégie de durabilité.
Le défi n’est plus de prouver que c’est possible, mais de l’industrialiser. En combinant innovation technologique, standardisation et conception architecturale durable, les data centers de demain pourront être plus rapides, plus puissants, et surtout plus respectueux de leur environnement bâti. La lumière, qui éclaire depuis toujours nos vies, pourrait bientôt éclairer aussi l’avenir du cloud… et des bâtiments qui l’abritent.
Sources
[1] Cheng, Q. et al. – Recent advances in optical technologies for data centers, Optica, 2018.
[2] Tossoun, B. et al. – High-speed and energy-efficient non-volatile silicon photonic memory based on memresonator, Nature Communications, 2024.
[3] Sharma, K. et al. – Energy-efficient and sustainable communication in optical networks, Sustainable Computing, 2020.
[4] ResearchGate (Survey) – Towards efficient on-chip communication: A survey on silicon nanophotonics and optical networks-on-chip, 2024.
[5] Arxiv (2021) – LC/DC: Laser Control for Energy-Efficient Datacenters.
[6] Arxiv (2021) – Energy-efficient optical interconnects with passive AWGR-based topologies.














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