top of page

Quand les bâtiments se mettent à respirer : vers une ville qui purifie son air

ree

L’idée paraît presque poétique : des façades capables de capter et décomposer les polluants simplement grâce à la lumière du jour. Pourtant, cette technologie existe déjà. Plusieurs chercheurs et ingénieurs développent des revêtements photocatalytiques, des matériaux « intelligents » qui transforment les surfaces du bâti en filtres passifs.

Une revue scientifique publiée par Bai et al. en 2023 montre que les matériaux à base de dioxyde de titane (TiO₂)peuvent purifier l’air, se nettoyer eux-mêmes et même détruire certaines bactéries. Autrement dit, un mur devient un acteur actif de la qualité de l’air urbain.


Comment ça marche ?


Le principe repose sur la photocatalyse, lorsqu’un matériau contenant du dioxyde de titane (TiO₂) est exposé à la lumière (surtout les ultraviolets, parfois la lumière visible), ses particules s’activent. Elles libèrent alors des radicaux hydroxyles (OH·), des molécules très réactives capables d’oxyder les polluants.


Les gaz nocifs de type oxydes d’azote (NOₓ) ou les composés organiques volatils (COV) se déposent à la surface du matériau, puis sont transformés en substances inoffensives comme des nitrates, solubles dans l’eau de pluie.


C’est un peu comme si la façade « respirait » : elle capte l’air sale, le traite chimiquement, puis le relâche purifié. Une réaction naturelle, déclenchée simplement par la lumière et l’humidité. [1] 


Des murs qui dépolluent vraiment ?


Le projet européen Light2CAT, mené à Copenhague, Valence et sur une autoroute danoise, a testé des bétons photocatalytiques capables d’agir même sous lumière visible. Les chercheurs ont observé une réduction du NOₓ comprise entre 5 et 20 % selon les sites testés. À Valence, les niveaux de pollution ont chuté de 84 ppb à 36,5 ppb  soit plus de 50 % de réduction.[2] 


En France, une expérience similaire menée dans un « canyon de rue » (reconstitution d’un environnement urbain dense) a observé une baisse de 62 % pour le NO et de 46 % pour le NO₂ sur des murs enduits de TiO₂. [3] Ces résultats varient selon les conditions d’ensoleillement, d’humidité et de circulation d’air, mais ils confirment que la dépollution par photocatalyse fonctionne bel et bien en situation réelle.


Les zones d’ombre


Malgré ses promesses, la technologie n’est pas magique.Plusieurs études rappellent ses limites physiques et pratiques.


  • Dépendance à la lumière : le TiO₂ classique n’est activé que par les UV, qui ne représentent que 5 % de la lumière solaire. L’efficacité chute donc à l’ombre ou en hiver. Pour contourner cela, les chercheurs testent des variantes « fonctionnalisé » (avec du fer, du carbone ou du graphène) capables d’utiliser la lumière visible. [4] 

  • Durabilité : la poussière, la pluie acide ou l’abrasion finissent par encrasser la surface et diminuer son efficacité. Une étude a montré une perte d’activité de 30 % après 1000 cycles d’usure. [3] 

  • Impact réel sur l’air ambiant : même si un mur dégrade localement 50 % des NOₓ qui le touchent, la dispersion de l’air en ville rend l’effet global plus modeste, souvent de l’ordre de quelques pourcents. [5] 


Ces observations rappellent que la photocatalyse n’est pas une solution de substitution, mais un complément précieux à d’autres stratégies de dépollution urbaine.


Une matière vivante dans la ville


L’un des aspects les plus fascinants de ces matériaux, c’est leur autonomie.Contrairement à un purificateur d’air mécanique, ils ne consomment pas d’électricité et ne nécessitent pas d’entretien complexe. Sous la pluie, les résidus de réaction (nitrates, poussières) sont simplement lessivés.


Rabajczyk (2021) souligne que ces surfaces ne se contentent pas de dépolluer : elles se nettoient elles-mêmes et ont un effet antibactérien. De nombreuses façades ou vitrages modernes utilisent déjà cette propriété d’ « auto-nettoyage », héritée directement de la photocatalyse.

Les villes deviennent ainsi des écosystèmes matériels : leurs bâtiments, au lieu de subir la pollution, participent activement à son atténuation.


Ce que disent les chercheurs


Dans leur revue de 2023, Bai et al. ont analysé plus de 300 travaux sur les matériaux photocatalytiques. Ils concluent que les bétons fonctionnalisé au TiO₂ ou aux oxydes métalliques ont un effet réel et mesurable sur la concentration de NOₓ, en particulier dans les rues à fort trafic. Cependant, ils insistent sur la nécessité de développer des photocatalyseurs activables par la lumière visible, plus stables et durables.


D’autres études plus récentes (Tang et al., 2024) explorent des nanorevêtements multicouches, capables à la fois de purifier l’air et de filtrer les eaux de ruissellement, ouvrant la voie à des surfaces multifonctionnelles et plus efficaces. 


Ce qui rend cette approche particulièrement intéressante, c’est sa discrétion.Pas besoin de machines visibles ou d’énergie : tout se joue à l’échelle microscopique.L’impact est diffus, mais cumulatif. Si des milliers de mètres carrés de façades, de toits ou de trottoirs étaient recouverts de ces matériaux, les effets pourraient devenir significatifs.


Une étude montre qu’un kilomètre de façade photocatalytique peut neutraliser jusqu’à 20 g de NO₂ par jour dans certaines conditions.[5]  Cela peut sembler faible, mais multiplié à l’échelle d’un quartier entier, cela équivaut à la dépollution produite par des centaines d’arbres.


Ce que l’architecture y gagne


Pour les architectes, cette technologie ouvre un nouveau champ de conception :


  • Des façades actives qui interagissent avec leur environnement ;

  • Des matériaux auto-nettoyants, réduisant les coûts d’entretien ;

  • Des surfaces fonctionnelles, apportant un bénéfice environnemental concret.


Les fabricants comme Italcementi (béton TX Active®) testent déjà ces matériaux sur des ponts, tunnels ou bâtiments publics exposés à la pollution routière. [2] Ce sont des exemples tangibles de bâtiments capables d’avoir un rôle écologique, sans compromis esthétique.


Une respiration pour demain


Il serait naïf de croire que les façades photocatalytiques vont « sauver » l’air des villes.Mais elles participent à une tendance plus vaste : celle des matériaux vivants, capables d’interagir avec leur milieu.

Au même titre que les murs végétalisés ou les bétons poreux, ces revêtements traduisent une nouvelle philosophie de l’architecture : concevoir des bâtiments qui contribuent positivement à leur environnement.


Les recherches continuent pour rendre ces surfaces plus efficaces, plus résistantes et surtout actives sous la lumière visible  car c’est bien là que se joue leur démocratisation.

Dans un futur proche, marcher le long d’une rue pourrait signifier respirer un air un peu plus pur, simplement parce que les bâtiments autour de nous auront appris… à respirer eux aussi.


Sources


[1] Bai X. et al., TiO₂-Based Photocatalytic Building Material for Air Purification in Sustainable and Low-Carbon Cities: A Review, Catalysts, 2023, MDPI.


[2] Light2CAT Project, Photocatalytic cementitious materials for air depollution under visible light, CORDIS, 2024.


[3] Tang S. et al., Enhanced Photocatalytic Building Materials: Applications in Exterior Façade and Runoff Purification, Environmental Technology & Innovation, 2024.


[4] Royal Society of Chemistry, Doped TiO₂ and Visible-Light Photocatalysis for Urban Pollution Mitigation, 2023.


[5] Removing NOx Pollution by Photocatalytic Building Materials in Real Life, Fotocatalisis.org / PMC, 2021.


[6] Rabajczyk A., Self-Cleaning Coatings and Surfaces of Modern Building Materials, Materials, 2021.

Commentaires


Catégories
Derniers Articles
Ressources Gratuites
bottom of page