Cultiver plutôt que cuire : quand la vie remplace le four
- project1253
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Lorsque l’on pense aux briques ou au béton, on imagine les fours à très haute température, l’extraction minière et des émissions massives de CO₂. Pourtant, des recherches récentes montrent qu’il est possible de faire pousser des matériaux de construction à l’aide de bactéries.
Le procédé, appelé Microbially Induced Calcium Carbonate Precipitation (MICP), repose sur la capacité de certains micro-organismes à précipiter du carbonate de calcium (CaCO₃) et à souder ainsi les particules minérales entre elles [1].
Des briques cultivées à partir de bactéries
L’entreprise américaine BioMASON, fondée en Caroline du Nord en 2012, a démontré qu’il est possible de fabriquer des briques sans cuisson, à température ambiante, en cultivant des bactéries calcifiantes dans des moules remplis de sable. Le processus imite la formation naturelle des coquillages : les micro-organismes précipitent du CaCO₃, agissant comme un ciment biologique.
Selon les essais menés sur les premières séries industrielles, ces briques atteignent des résistances à la compression comparables aux produits conventionnels tout en réduisant les émissions de CO₂ de plus de 80 % par rapport à une brique cuite. Le procédé ne requiert ni four ni liant chimique, uniquement un substrat minéral, des nutriments et quelques jours de culture [2][3].
Le béton qui se soigne lui-même
D’autres chercheurs se sont intéressés non pas à la fabrication, mais à la régénération des matériaux. Une revue critique publiée en 2024 dans Science of the Total Environment fait le point sur les progrès du béton bactérien auto-réparant [4]. Le principe : encapsuler des bactéries dans la matrice cimentaire. Lorsqu’une fissure apparaît et que l’humidité pénètre, les micro-organismes s’activent, produisent du CaCO₃ et colmatent la brèche.
Plusieurs études rapportent des résultats impressionnants : dans un béton expérimental, la récupération de la résistance à la compression après 180 jours atteignait jusqu’à 92 %, grâce à la combinaison du CaCO₃ et de l’activité bactérienne [5].Cette capacité d’auto-réparation pourrait prolonger la durée de vie des structures et réduire considérablement les coûts et les émissions liées à la maintenance.
Pour rendre ces systèmes plus robustes, certaines équipes travaillent sur des souches génétiquement modifiées capables de survivre à des pH extrêmes et de s’activer plusieurs fois au cours de la vie du matériau [6].
La biominéralisation comme levier de durabilité
Le génie génétique appliqué à la construction ne vise pas uniquement à créer des matériaux « intelligents ». Il répond à un enjeu environnemental majeur : la production de ciment représente environ 8 % des émissions mondiales de CO₂, selon l’Agence internationale de l’énergie.
Les procédés biologiques comme le MICP pourraient réduire jusqu’à 90 % des émissions liées à la cuisson, tout en utilisant des sources de calcium et de carbone à faible impact [7].Ces matériaux n’imposent pas seulement une réduction de l’impact : ils offrent de nouveaux comportements. Un mur peut désormais se consolider au contact de l’humidité plutôt que se fissurer. Une brique peut être cultivée localement à partir de sable et de nutriments, transformant les cycles de production en écosystèmes constructifs.
Exemples pour comprendre
Le premier, BioMASON, a déjà franchi la barrière du laboratoire.En 2023, l’entreprise a annoncé une ligne de production capable de fabriquer plusieurs milliers de briques par jour. Chaque unité est formée par précipitation bactérienne en moins d’une semaine, sans combustion, ni gaz, ni four industriel. Cette réussite prouve que la biomanufacture de matériaux peut atteindre l’échelle du marché tout en réduisant massivement les émissions [2][3].
Le second exemple, issu des travaux compilés dans la revue 2024 sur les bétons auto-réparants, démontre la faisabilité du concept dans le béton structurel.Les formulations les plus efficaces ont retrouvé presque toute leur résistance après fissuration, grâce à des bactéries encapsulées capables de se réactiver plusieurs mois après la coulée [5].À grande échelle, une telle propriété pourrait allonger la durée de vie des infrastructures et limiter le recours au ciment neuf, l’un des principaux postes de carbone du secteur.
Entre laboratoire et chantier
Ces avancées sont encourageantes mais soulèvent des défis majeurs.La plupart des expérimentations se déroulent encore à petite échelle, dans des conditions contrôlées. L’industrialisation nécessitera de maîtriser la viabilité bactérienne sur plusieurs décennies, la répartition homogène des micro-organismes dans la matrice et la compatibilité avec les standards de résistance. D’autres limites sont d’ordre réglementaire : les normes actuelles ne prévoient pas de matériaux « vivants ». Comme le souligne la revue Advances in Microbial Self-Healing Concrete (2024), la certification et la sécurité biologique constituent aujourd’hui les principaux freins à leur diffusion [4][6].
Derrière ces innovations se dessine une philosophie nouvelle de la construction. Là où le béton traditionnel enferme et épuise, les matériaux biologiques réintroduisent une circularité active. Un mur n’est plus une structure figée, mais un organisme minéral qui interagit avec son environnement.
Le chercheur Zuo (2023) rappelle que la biominéralisation contrôlée s’étend désormais à de multiples domaines, de la stabilisation des sols à la fabrication de briques biologiques, et qu’elle constitue l’un des champs de recherche les plus prometteurs de la décennie [7].L’avenir pourrait même voir émerger des matériaux programmables, capables d’ajuster leur comportement selon la lumière, la température ou la pollution, ouvrant la voie à une véritable architecture du vivant.
Conclusion : vers une architecture du vivant
Des briques cultivées à température ambiante aux bétons qui cicatrisent d’eux-mêmes, les recherches citées montrent qu’un tournant s’amorce : celui d’une architecture qui coopère avec le vivant. BioMASON a prouvé qu’il est possible de produire à grande échelle des briques durables sans four ni ciment [2]. La revue critique de 2024 a montré que le béton pouvait récupérer jusqu’à 92 % de sa résistance après fissuration grâce à l’action bactérienne [5].Ces chiffres, bien qu’encore expérimentaux, traduisent une transformation profonde : la matière devient active, réactive, presque autonome.
Il reste à franchir les étapes de la normalisation et de l’acceptation publique, mais une chose est claire : bâtir durablement ne consistera plus à rendre les matériaux inertes, mais à leur donner la capacité de vivre, d’évoluer et de durer. Le génie génétique appliqué à la construction n’est donc pas une curiosité scientifique ; c’est le signe qu’une nouvelle écologie du bâti est en train de naître, une écologie où la pierre respire, où le béton guérit, et où le vivant devient un matériau d’architecture à part entière.
Sources
[1] Lambert, S. E., Randall, D. G. (2019). Manufacturing bio-bricks using microbial induced calcium carbonate precipitation (MICP). Journal of Water Research, Elsevier.
[2] BioMASON Inc. (2023). Biobrick Production Overview. BioMASON Corporate Report.
[3] Smirnova, M. et al. (2023). High strength bio-concrete for the production of building materials. Nature Scientific Reports.
[4] Liang, J. et al. (2024). Advances in microbial self-healing concrete: A critical review of challenges and prospects.Science of the Total Environment, Elsevier.
[5] Estupiñan, R. A. et al. (2023). An autonomous system to bio-bricks production by microbial induced calcium carbonate precipitation (MICP). Brazilian Journal of Development.
[6] Qian, C. et al. (2023). Genetic improvement of Bacillus subtilis for enhanced biomineralization in self-healing concrete. Journal of Industrial Microbiology & Biotechnology, Oxford University Press.
[7] Zuo, R. (2023). An assumption of in situ resource utilization for bio-bricks: Microbial induced calcium carbonate precipitation as sustainable construction material. Frontiers in Materials.














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