Le béton bioreceptif : quand la mousse habite le mur
- project1253
- 7 oct.
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Les villes, souvent constituées de béton et de surfaces dures, souffrent d’un déficit de nature. L’innovation du béton bioreceptif propose une rupture : un matériau texturé capable d’accueillir la mousse (et d’autres petits organismes), transformant progressivement les surfaces grises en façades vivantes. Ce concept séduit à la fois pour sa dimension esthétique et pour son potentiel à rendre la ville plus respirable.
Qu’est-ce que le béton bioreceptif ?
Le terme bioreceptivité désigne la capacité d’un matériau à être colonisé par des organismes vivants (microorganismes, mousses, lichens) sans nécessairement subir de détérioration.
Dans le cas du béton bioreceptif, on adapte la composition et la surface du béton pour qu’il devienne propice à la vie végétale microscopique. Par exemple, dans une étude de formulation, Veeger et al. (2021) testent quatre approches : substituer l’agrégat par de l’argile expansée broyée, ajouter de la cendre osseuse, modifier le fractionnement granulométrique, ou augmenter la porosité pour retenir l’humidité. Ces modifications visent à améliorer la capacité du matériau à héberger la mousse.
Par ailleurs, la géométrie de surface joue un rôle crucial. Mustafa et al. (2021) montrent qu’un béton façonné avec des textures, micro-rainures ou reliefs peut retenir plus d’eau et favoriser la germination de spores de mousse, comparé à une surface plane.
Les avantages de la mousse sur béton
Purification de l’air et particules fines
Les mousses possèdent des feuilles compactes, souvent sans cuticule protectrice, ce qui leur confère une forte surface d’absorption des polluants atmosphériques. Dans une revue sur les bénéfices, on note qu’une mousse urbaine peut capter 5,60 à 33,00 mg de particules fines (PM) par gramme de poids sec, bien plus que les feuilles d’arbres (2,15 à 10,24 mg/g) dans certaines conditions. [3]
Atténuation des îlots de chaleur (UHI)
La mousse influence les températures de plusieurs façons :
Réduction du rayonnement solaire absorbé (la mousse ayant un albédo plus faible que le béton) ;
Stockage et évaporation de l’eau, ce qui entraîne un effet rafraîchissant ;
Isolant thermique : la mousse forme une couche tampon entre l’air ambiant et la structure bétonnée.
Des tests montrent que, en conditions sèches, la différence de température entre un panneau nu et un panneau recouvert de mousse varie de 0 à 5 °C. En conditions humides, la surface recouverte de mousse reste 2 à 5 °C plus fraîche que la surface nue, et ce bénéfice perdure plus longtemps grâce à la rétention d’humidité. [3]
Atténuation sonore
L’efficacité acoustique de la mousse sur béton a été explorée récemment par Veeger et al. (2025). En testant six espèces de mousse à différents niveaux d’hydratation, ils ont mesuré des coefficients d’absorption allant jusqu’à 0,189 dans certaines fréquences. Bien que les données soient encore limitées, cela suggère que la mousse pourrait contribuer à l’atténuation du bruit urbain.
Services écosystémiques urbains
Dans le projet de l’AMS Institute, les chercheurs soulignent que la mousse sur béton pourrait offrir un éventail de services : absorption de l’eau de pluie, refroidissement urbain, filtration de polluants, accroissement de la biodiversité, et amélioration esthétique des façades.
Recherches et cas réels
L’idée du béton bioreceptif ne reste pas cantonnée aux laboratoires : elle est déjà testée dans différents contextes, du nord de l’Europe aux climats plus arides.
À Amsterdam, par exemple, le projet Respyre a appliqué une couche bioreceptive sur des façades existantes, dans le cadre d’un « living lab » sur le site du Marineterrein. L’objectif est simple : observer comment la mousse s’installe et mesurer les bénéfices concrets en conditions urbaines. Cette approche permet d’éviter les structures lourdes des murs végétaux classiques, tout en donnant une nouvelle vie aux surfaces déjà construites.
Les chercheurs s’intéressent aussi à la forme même du béton. Des panneaux expérimentaux aux géométries variées : rainures, crêtes et motifs texturés ont montré que la colonisation par la mousse est nettement plus rapide lorsque la surface retient mieux l’eau. Autrement dit, la manière dont on façonne le béton peut accélérer sa transformation en façade verte.
D’autres études, menées à l’échelle des villes néerlandaises, confirment que le béton est déjà spontanément colonisé par une grande diversité de mousses. Certaines espèces prospèrent au soleil, d’autres préfèrent les zones ombragées, ce qui laisse entrevoir la possibilité de sélectionner les espèces en fonction de l’orientation des façades.
Et ce n’est pas qu’une innovation réservée aux climats tempérés : des recherches en Égypte ont montré que la texture de surface est déterminante même sous des conditions chaudes et sèches. Des panneaux enduits de formulations spéciales ont réussi à être colonisés en quelques semaines seulement, preuve que l’idée peut s’adapter à des environnements très différents.
Petit à petit, ces expériences dessinent un constat encourageant : avec la bonne formulation et une surface pensée pour retenir l’humidité, le béton peut réellement devenir un support de vie.
Dimension culturelle et esthétique
Au-delà des performances techniques, le béton bioreceptif bouleverse notre rapport à l’architecture. Il propose une esthétique vivante, organique, imprévisible. Le mur n’est plus un objet figé : il évolue, change de teinte, grandit.
La mousse, loin d’être un simple embelli, est souvent perçue comme un signe de vétusté ou de négligence. Or, en l’intégrant dès la conception et en informant le public, elle peut devenir une démarche consciente.
Dans la littérature récente (prépublications sur la « biofaçade »), les chercheurs évoquent aussi le défi esthétique de contrôler la croissance, éviter les excès de moisissure, de coloration erratique tout en conservant une greffe harmonieuse entre matériau et végétal.
Par exemple, les panneaux testés dans l’étude de Mustafa sont conçus pour guider la mousse selon des motifs précis, alliant fonction et beauté. Ainsi, l’innovation s’inscrit aussi dans le domaine du design : laissez pousser la nature, mais avec une intention architecturale.
Conclusion
Le béton bioreceptif, loin d’être une simple curiosité, apparaît aujourd’hui comme un pont entre technique et nature. Issu de recherches rigoureuses (Veeger, Mustafa, Roupheil, AMS Institute), et exploré dans des projets comme Respyre à Amsterdam, ce matériau démontre un potentiel réel : purifier l’air, atténuer les îlots de chaleur, filtrer le bruit et réintroduire la biodiversité dans le paysage urbain.
Son attrait tient aussi dans cette dimension esthétique : un mur qui vit, change, respire. Toutefois, les défis restent nombreux : quantifier précisément les services rendus, garantir la robustesse à long terme, déterminer les espèces les mieux adaptées selon le climat, et convaincre les usagers d’adopter cette “verdure” inhabituelle.
Mais l’avenir s’esquisse : des mobilier urbain bioreceptif, des installations artistiques vivantes, voire des façades qui réagissent au temps, le béton bioreceptif pourrait devenir un outil de la résilience urbaine, transformant peu à peu nos villes en écosystèmes bâtis.
Sources
[1] Veeger, M., Jonkers, H., & Ottelé, M. (2021). Making bioreceptive concrete: Formulation and testing of bioreceptive material for moss growth. Case Studies in Construction Materials, 15, e00782. Elsevier.
[2] Mustafa, A., Prieto, A., & Ottelé, M. (2021). The Role of Geometry on a Self-Sustaining Bio-Receptive Concrete Panel for Facade Application. Sustainability, 13(13), 7453. MDPI.
[3] Veeger, M., Mustafa, A., Prieto, A. J., & Ottelé, M. (2023). Bioreceptive Concrete: State of the Art and Potential Benefits. Construction and Building Materials, 382, 131005. Elsevier.
[4] Veeger, M., Mustafa, A., & Ottelé, M. (2025). Evaluating mosses on bioreceptive concrete for urban noise reduction. Building and Environment, 260, 111376. Elsevier.
[5] Veeger, M., et al. (2024). Moss Species for Bioreceptive Concrete: A Survey of Epilithic Urban Moss Communities and Their Dynamics. SSRN Working Paper.
[6] Roupheil, S. (2024). The Feasibility of Bio-Receptive Concrete Finishes in Arid Climates. Master Thesis, The American University in Cairo.
[7] AMS Institute (2023). Bio-receptive concrete for liveable cities. Project description.
[8] BrightVibes (2023). The Power of Moss: Bio-Receptive Concrete Can Help Cities Breathe Again.














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