Yakisugi: tradition japonaise au service de l’architecture durable contemporaine
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Yakisugi, connu en Occident sous le nom de shō sugi ban, est une technique ancestrale japonaise de préservation du bois, apparue durant la période Edo. Elle consiste à carboniser légèrement des planches de cèdre japonais afin de créer une surface carbonisée, durable et protectrice.
Historiquement utilisée dans l’architecture traditionnelle japonaise, comme les machiya (maisons de ville) ou les pavillons de thé, notamment dans des régions telles que Kyoto, Naoshima ou Setouchi, cette technique reflète une culture vernaculaire riche, mêlant artisanat local et logique à faible empreinte carbone. Aujourd’hui, le yakisugi connaît un renouveau dans le design contemporain, servant de passerelle entre héritage culturel et engagement écologique, grâce à son esthétique minimaliste et sa résistance naturelle.
Performances écologiques avérées
Le procédé yakisugi offre de nombreux avantages environnementaux et physiques :
La résistance à l’humidité, aux insectes et aux champignons est améliorée grâce à la réduction de l’hygroscopicité du bois, due à la carbonisation de surface. Cet effet a été démontré par Tsunoda et al. (2021), qui ont prouvé que le cèdre et le cyprès japonais carbonisés présentent une résistance à la dégradation significativement accrue.
La couche carbonisée agit aussi comme une barrière naturelle contre les micro-organismes et ralentit l’ignition du feu en augmentant le seuil de combustion. Cette protection est confirmée par Esteban et al. (2024), dont l’étude sur le sapin et le frêne a révélé qu’une carbonisation de 3 à 6 mm améliore la résistance au feu en usage extérieur.
Tous ces effets sont obtenus sans traitement chimique, uniquement par le feu et le brossage, ce qui en fait une alternative à faible impact et sans polluants.
Ces performances sont bien illustrées par la South Tyrol House, où un bardage en mélèze carbonisé résiste à une forte humidité et à l’exposition aux UV. Cette maison résidentielle, située en climat alpin, montre comment le yakisugi protège la façade tout en contribuant à l’efficacité thermique, grâce à un agencement en bardeaux superposés qui régule la circulation de l’air et limite les pertes thermiques.
Durabilité, longévité et esthétique
Le bois traité par yakisugi est reconnu pour sa longévité exceptionnelle. Une fois carbonisé, il devient très résistant aux intempéries et reste stable dimensionnellement dans le temps. Bien que la surface puisse être protégée avec de l’huile de lin ou minérale, le yakisugi offre déjà de très bonnes performances sans entretien continu. Nakamoto Forestry UK (2024) classe le yakisugi dans les classes d’usage à haute durabilité.
Esthétiquement, il se distingue par une finition noire profonde, souvent texturée, parfois semblable à une peau de reptile, qui évolue magnifiquement avec le temps.Cette apparence unique, capturant l’essence du wabi-sabi, philosophie japonaise valorisant la beauté de l’imperfection et du vieillissement naturel.
Un exemple architectural emblématique est la Nami Sakamoto Dental Clinic, à Hyōgo (Japon), conçue par Tomohiro Hata Architect and Associates. Ce projet utilise un bardage yakisugi qui contraste avec l’environnement urbain, tout en renforçant une sensation de calme et de protection. La texture du matériau et son irrégularité naturelle amplifient l’atmosphère apaisante du lieu, en parfaite adéquation avec sa fonction de soins. Le design extérieur invite à la sérénité et distingue la clinique par une identité contemporaine mais enracinée. Bauwn (2023) souligne l’intégration harmonieuse entre matériau et fonction.
Comparaison avec d’autres traitements naturels
Comparé à d’autres traitements du bois, le yakisugi présente un profil particulièrement avantageux :
L’huile de lin, bien que naturelle, nécessite des réapplications fréquentes et n’offre pas la même durabilité à long terme [2].
Le bois thermo-traité améliore la stabilité dimensionnelle et la résistance via un processus à haute température, sans oxygène, mais implique une infrastructure industrielle énergivore [7] .
Le yakisugi, quant à lui, offre une grande durabilité, nécessite peu, voire aucun entretien, et présente une esthétique noire distinctive qui se patine naturellement avec le temps, sans intervention chimique.
Cette combinaison de performance fonctionnelle et d’attrait visuel rend le yakisugi de plus en plus prisé comme solution naturelle et durable.
Analyse du cycle de vie (ACV)
Bien que les analyses complètes du cycle de vie du yakisugi soient encore en développement, les premières données disponibles soulignent sa pertinence environnementale. L’utilisation de bois certifié FSC, l’absence de traitements chimiques et la longévité du produit contribuent à réduire significativement son impact à long terme. De plus, le carbone stocké dans le bois compense partiellement les émissions générées par le processus de carbonisation .
Une maison à la fois performante énergétiquement et chaleureuse visuellement, illustrant l’adaptabilité du yakisugi dans une architecture passive. C’est ce qu’à realisé l’Orcas House, à Seattle, où le cabinet Syndicate Smith a intégré un bardage yakisugi de Nakamoto Forestry, en finitions Gendai (sombre) et Pika Pika (claire), dans le cadre d’une rénovation bioclimatique. Selon Nakamoto Forestry (2023), ce projet démontre comment un matériau traditionnel peut répondre aux normes énergétiques modernes, tout en conservant élégance architecturale et durabilité en zones climatiques variées.
Mais il existe bien d'autres projets comme le projet Namaro, en Europe, qui intègre la gamme Ignite. Cette collection associe carbonisation et traitement thermique sur de l’accoya ou du mélèze. Utilisé dans un design biophilique certifié HQE, le projet montre que le yakisugi peut être intégré dans des processus industriels maîtrisés, tout en conservant sa valeur patrimoniale et écologique. Thermory met en avant les avantages de performance et de faible entretien de ce produit technique dans des applications architecturales à grande échelle.
Étude de cas : Yakisugi House de Terunobu Fujimori
Parmi les applications architecturales les plus connues figure la Yakisugi House de Terunobu Fujimori, achevée en 2007 dans la préfecture de Nagano (Japon). Entièrement revêtue de cèdre japonais carbonisé, la maison respecte les méthodes traditionnelles du yakisugi. Les planches sont fumées, brossées et huilées pour assurer une résistance à long terme.
Située dans un environnement montagneux et humide, elle bénéficie pleinement de la résistance du yakisugi à l’humidité. Sur le plan architectural, elle présente une forme monolithique et sculpturale, fusionnant l’inspiration culturelle japonaise avec la poésie imparfaite du wabi-sabi. Largement publiée et exposée, cette maison est reconnue comme un projet majeur ayant ravivé l’intérêt mondial pour le yakisugi, démontrant sa pertinence dans une architecture durable et expressive, au-delà du Japon.
Conclusion
Le yakisugi est bien plus qu’une technique ancienne. Il propose une réponse contemporaine à des enjeux urgents de durabilité, de résilience matérielle et de beauté architecturale. Cette méthode japonaise ancestrale, fondée sur une approche sans produits chimiques et à faible émission carbone, offre des performances environnementales remarquables. Sa résistance naturelle à l’humidité, aux insectes et au feu, combinée à son attrait visuel unique, le rend pertinent dans de nombreux climats, comme l’a montré la South Tyrol House.
Il s’intègre aussi bien dans des créations locales contemporaines, comme la Yakisugi House de Terunobu Fujimori, que dans des architectures passives nord-américaines, à l’image de l’Orcas House. Son évolution industrielle maîtrisée, illustrée par la gamme Ignite de Thermory, confirme son potentiel d’intégration aux standards HQE ou Passivhaus.
Le yakisugi émerge ainsi comme un pont entre héritage et avenir, artisanat et innovation, nature et culture.
Sources
[1] Bauwn, A. (2023). Exploring Yakisugi Wood: A Timeless Japanese Preservation Technique. Bauwn.https://bauwn.com/exploring-yakisugi-wood-a-timeless-japanese-preservation-technique/
[2] Terziev, N., & Boutelje, J. (2021). Artificial Weathering Resistance and Biological Durability of Surface Charred Beech Wood Combined with Linseed Oil Coating. BioResources, 16(4).https://bioresources.cnr.ncsu.edu/resources/artificial-weathering-resistance-and-biological-durability-of-surface-charred-beech-wood-combined-with-linseed-oil-coating/
[3] Tsunoda, K., Yoshida, K., & Imamura, Y. (2021). Weatherability and Decay Resis
tance of Charred Japanese Cedar and Cypress Wood. Forests, 12(9), 1262.https://www.mdpi.com/1999-4907/12/9/1262
[4] Esteban, L. G., De Palacios, P., & Fernández-Golfín, J. I. (2024). Fire Resistance of Surface-Charred Fir and Ash for Exterior Applications. Forests, 15(7), 1109.https://www.mdpi.com/1999-4907/15/7/1109
[5] Nakamoto Forestry. (2022). The Science Behind Flame Retardancy of Shou Sugi Ban Yakisugi.
Nakamoto Forestry. (2023). The Top 10 Myths About Shou Sugi Ban Charred Wood Siding.
Nakamoto Forestry UK. (2024). Durability and Use Classes.
[6] The Spruce. (2022). What is Shou Sugi Ban (Yakisugi)?https://www.thespruce.com/what-is-shou-sugi-ban-yakisugi-5119876/
[7] Thermory. (n.d.). A Modern Take on Shou Sugi Ban.
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