Intelligence artificielle et efficacité énergétique des bâtiments : promesses et applications concrètes
- project1253
- 30 sept.
- 5 min de lecture

Les bâtiments sont au cœur du défi climatique. Ils représentent environ 40 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone et consomment une grande partie de l’énergie produite, principalement pour le chauffage, la ventilation et la climatisation. Ce constat, souligné dans une étude européenne récente [6], met en évidence l’importance de la rénovation énergétique, même si celle-ci reste coûteuse et complexe.
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique apparaissent comme des leviers puissants. Une revue publiée en 2022 montre que ces technologies permettent de prédire la consommation, d’optimiser la performance des équipements et d’améliorer la gestion opérationnelle. Les chercheurs soulignent également que les modèles hybrides et les techniques d’apprentissage profond offrent souvent la meilleure précision [1]. Réduire l’empreinte énergétique des bâtiments repose donc de plus en plus sur des algorithmes capables d’apprendre à partir des données pour guider les décisions.
Quand l’intelligence artificielle devient architecte de l’énergie
Une analyse bibliométrique publiée en 2025 met en évidence trois grandes fonctions de l’apprentissage automatique dans ce domaine [4] :
la prévision de la consommation énergétique, par exemple à partir de données historiques et météorologiques ;
le contrôle intelligent, qui consiste à gérer en temps réel les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation ;
l’optimisation de la conception, qui intègre la performance énergétique dès la phase de construction ou de rénovation.
Pour relever ces défis, les chercheurs s’appuient sur des réseaux de neurones artificiels et des machines à vecteurs de support. Cependant, on observe une tendance croissante vers des modèles hybrides, qui combinent différentes approches afin d’obtenir une plus grande précision tout en réduisant le risque d’erreurs [1].
Au-delà des travaux académiques, des initiatives concrètes voient le jour. L’une des plus notables est la plateforme Artificial Intelligence for Energy Efficiency (AI4EF), développée dans le cadre du projet européen Enershare et testée en Lettonie sur des données réelles [6]. Cette solution modulaire propose plusieurs services : recommandations pour la rénovation énergétique, calcul de l’impact économique et environnemental d’installations photovoltaïques, ainsi qu’un espace permettant aux experts d’entraîner leurs propres modèles.
Son principal avantage est de pouvoir fournir des résultats utiles même avec peu de données initiales. Contrairement à d’autres solutions plus exigeantes, elle permet aux gestionnaires de bâtiments ou aux collectivités locales d’obtenir rapidement un diagnostic sans nécessiter une expertise technique avancée [6].
Des bâtiments qui apprennent
Plusieurs études confirment le potentiel de ces approches. L’application de l’apprentissage automatique aux systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation a montré qu’elle permettait de réduire significativement la consommation d’énergie tout en améliorant le confort des occupants, grâce à des ajustements automatiques de la température et de l’humidité [3].
La recherche s’est également concentrée sur la prédiction des performances énergétiques des bâtiments. Depuis 2019, de nombreux modèles ont été développés pour estimer la consommation future en tenant compte de l’occupation, des conditions météorologiques et de l’état du bâtiment [4]. Ces prédictions constituent une base solide pour planifier des rénovations plus ciblées.
Enfin, l’intelligence artificielle ne se limite pas à la consommation d’énergie. Elle contribue aussi à la gestion de la qualité de l’air intérieur, de l’éclairage et du confort thermique. Elle peut même détecter des anomalies, comme une panne imminente dans un système de climatisation, évitant ainsi une surconsommation inutile [5]. Un bâtiment équipé de capteurs et d’algorithmes devient alors un organisme adaptatif, capable d’apprendre et de s’optimiser en continu.
Obstacles à surmonter
Ces avancées prometteuses rencontrent néanmoins plusieurs obstacles :
Un accès limité aux données : de nombreuses études s’appuient encore sur des prototypes ou des simulations difficiles à reproduire dans des conditions réelles [5] ;
Un manque de transparence : les modèles les plus précis, comme ceux issus de l’apprentissage profond, fonctionnent souvent comme des “boîtes noires”. Leur opacité affaiblit la confiance des utilisateurs, c’est pourquoi certains chercheurs proposent des approches d’intelligence artificielle explicables [2] ;
Une adoption limitée : malgré l’augmentation du nombre de publications scientifiques, les déploiements concrets restent rares, freinés par les coûts, le manque d’expertise et l’absence de standards communs [3][4].
Vers une intelligence énergétique partagée
Une piste particulièrement prometteuse est celle du partage sécurisé des données. La plateforme AI4EF illustre cette approche en s’appuyant sur l’Enershare Data Space, un cadre européen qui permet de mutualiser les données de différents pays et bâtiments [6]. Cette coopération rend possible l’entraînement de modèles plus robustes et plus fiables.
Au-delà de cette dimension collaborative, l’avenir se dessine autour de deux grands axes : rendre les modèles plus explicables et les données plus interopérables [2], et explorer de nouvelles techniques comme l’apprentissage par transfert, qui permet d’adapter un modèle entraîné sur un bâtiment à d’autres contextes avec peu de données supplémentaires [4], ou encore les approches hybrides, qui combinent plusieurs méthodes pour maximiser à la fois la précision et la fiabilité [1].
Au-delà de la conception : l’IA pour la rénovation énergétique des bâtiments existants
Si beaucoup d’applications de l’intelligence artificielle ciblent la planification ou la construction neuve, l’IA peut jouer un rôle tout aussi déterminant dans la rénovation des bâtiments déjà en service. En contexte de retrofit, l’IA permet de recommander automatiquement des mesures d’amélioration (isolation, remplacement de fenêtres, optimisation des systèmes HVAC, récupération de chaleur), en s’appuyant sur les données disponibles (consommations historiques, capteurs, caractéristiques du bâti). Par exemple, une publication récente propose une approche combinant des réseaux génératifs (CTGAN) pour enrichir les données, avec des modèles explicables (SHAP) pour identifier les variables critiques influençant les choix de rénovation, ce qui permet de dépasser les limites de données rares tout en assurant la transparence des recommandations.[7]
D’autre part, une revue dédiée aux projets de retrofit dans le secteur de la construction identifie que l’IA est déjà largement utilisée pour assister l’évaluation énergétique post-audit, simuler les économies d’énergie attendues, optimiser la sélection de packages de rénovation et gérer les compromis entre coûts et performances. [8]
En combinant ces usages, l’IA transforme les bâtiments existants en systèmes adaptatifs : elle peut prioriser les interventions les plus rentables, guider les gestionnaires dans le suivi des résultats après rénovation, et ajuster les scénarios futures selon les contraintes (budgets, confort, émissions).
Conclusion : l’intelligence artificielle comme alliée du climat
Les recherches convergent vers une même conclusion : l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique fournissent des outils puissants pour rendre les bâtiments plus économes en énergie. De la prévision de la consommation à la gestion intelligente du confort intérieur, en passant par des plateformes déjà testées comme AI4EF, les applications se multiplient.
Cependant, pour que ces solutions atteignent leur plein potentiel, il sera nécessaire de garantir l’accès à des données représentatives, de développer des modèles transparents et de créer les conditions d’une adoption à grande échelle.
Si ces obstacles sont levés, l’intelligence artificielle pourrait devenir un pilier central de la transition énergétique, transformant les bâtiments de simples consommateurs en acteurs intelligents de la lutte contre le changement climatique.
Sources
[1] Ardabili, S., et al. (2022). Systematic review of deep learning and machine learning for building energy. arXiv.
[2] Chen, Z. (2023). Interpretable machine learning for building energy. Patterns, 4(2), 100694. Elsevier.
[3] Das, H. P., et al. (2024). Machine learning for smart and energy-efficient buildings. Environmental Data Science, 3, e25. Cambridge University Press.
[4] Liu, J., et al. (2025). Applications and trends of machine learning in building performance prediction: A bibliometric review. Buildings, 15(7), 994. MDPI.
[5] Ogundiran, J., et al. (2024). Artificial intelligence for energy efficiency and indoor environmental quality: A systematic review. Sustainability, 16(9), 3627. MDPI.
[6] Tzortzis, A. M., Kormpakis, G., Pelekis, S., Michalitsi-Psarrou, A., Karakolis, E., Ntanos, C., & Askounis, D. (2024). AI4EF: Artificial Intelligence for Energy Efficiency in the Building Sector. arXiv.
[7] Voulgaris, Z., Ntanos, C., Tzortzis, A., & Askounis, D. (2025). Data-driven building retrofit decision-making: Combining CTGAN and SHAP for transparent recommendations.
[8] Mugahed Amran, Y. H., Al-Sakkaf, A., & Fediuk, R. (2024). Application of artificial intelligence in retrofitting building construction projects: A systematic review. Archives of Computational Methods in Engineering. Springer
Vous souhaitez en savoir plus sur la dimension pratique des bâtiments intelligents ? N'hésitez pas à consulter notre article ' Technologies des bâtiments intelligents : surveillance et automatisation pour une efficacité en temps réel ' pour approfondir le sujet.
Commentaires